Yanick Lahens

15 Janvier 2016 : Yanick LAHENS au CAP

Ce vendredi nous avons eu le plaisir d’accueillir Yanick Lahens  au  CAP. A son arrivée  la romancière a été accueillie par Shasna Petit et Grégory Blaise, délégués de la promotion sortante,  qui lui ont offert un magnifique bouquet composé de fleurs fraîchement cueillies dans le parc du CAP,  et  avec  les chants de bienvenue d’une haie d’honneur  formée par les élèves des classes terminales.

Après une visite des trois sections de l’établissement, Yanick Lahens s’est rendue à la salle Professeur Jean Claude où l’attendaient impatiemment les élèves de seconde, rhéto et  philo. Les échanges qui s’établirent furent denses et les questions nombreuses et variées.    

Les délégués de la classe terminale promotion 2015-2016 accueillent Yanick Lahens au CAP

Figure emblématique de la et littérature haïtienne, Yanick Lahens n’en est pas à son premier ouvrage et avait déjà publié des essais, des nouvelles et des romans dont  La couleur de l’aube,  Failles  et  Guillaume et Nathalie quand le prix Femina l’a distinguée et placée sous les feux de l’actualité avec Bain de lune. Elle occupe sur la scène littéraire haïtienne une position très singulière par son indépendance d’esprit et sa liberté de ton.

Onze  mois après l’élection de Dany Laferrière à l’Académie Française, deux ans après le premier prix littéraire du Salon de Genève attribué à Lyonel Trouillot pour La belle amour humaine  et  le prix Casa de Las America décerné à Gary Victor pour Le sang et la mer, la littérature haïtienne confirme son étonnante vitalité. Depuis d’autres prix ont été attribués à des auteurs haïtiens comme Kettly  Mars  ou  Dominique  Batraville.

Yanick Lahens arrive au CAP ce 15 janvier 2016

En récompensant Yanick Lahens pour Bain de  lune, le jury du prix Femina a voulu honorer son grand talent, son patient travail et surtout cette belle langue qui se déploie et s’inscrit dans une tradition de luxuriance et de musique de la phrase. Ce prix Femina est un hommage à la richesse de la littérature haïtienne. On pense bien sûr à Jacques Stephen Alexis. Le cinéaste  Arnold Antonin vient tout juste de présenter à Port-au-Prince le film qu’il lui consacre : Mort sans sépulture. On pense aussi à l’inoubliable Amour, colère et folie de Marie Chauvet dont on vient de rééditer  Fille d’Haïti et Fonds des nègres , à René Depestre (qui fête ses 90 ans et va publier  Popa Singer  en février,  à  Jean Métellus dont on vient aussi de rééditer  Jacmel au crépuscule et  Anacaona  en édition trilingue , à  René Philoctète  avec  Le Peuple des Terres-Mêlées  ou  plus près de  nous  à  Dany Laferrière avec L’énigme du retour (prix Médicis) ou à  Lyonel Trouillot qui vient de  publier  un nouveau  roman  Kannjawou .

Yanick Lahens est née en 1953 à Port-au-Prince et a achevé ses études à la Sorbonne à Paris. De retour en Haïti elle enseigne à l’Ecole Normale Supérieure et multiplie les activités : journaliste, elle collabore à de nombreuses revues telles que Chemins critiques, Cultura ou Boutures. Elle anime  l’émission  Entre nous  sur Radio Haïti Inter avec JJ Dominique. Un temps éditrice aux éditions Henri Deschamps, membre fondatrice de l’association des écrivains haïtiens qui combat l’illettrisme en organisant des lectures et rencontres dans les écoles du pays et membre du Conseil International d’Etudes Francophones, elle a également intégré le cabinet du ministre de la culture, Raoul Peck, aux côtés d’un autre écrivain, Louis-Philippe Dalembert, de 1996 à 1997.          

Yanick Lahens au CAP ce 15 janvier 2016 à la salle Professeur Jean Claude

Toujours impliquée dans l’histoire et la vie de son pays, elle dirige avec le sociologue et théologien Lahennec Hurbon, en 1998, le projet La route de l’esclavage qui interroge, par la science et les arts, l’histoire de l’esclavage.

 Yanick Lahens consacre aujourd’hui une grande partie de son temps au développement social et culturel et a créé une fondation destinée à former les jeunes générations aux stratégies de développement durable, à les sensibiliser à des questions d’intérêt national et à renforcer le lien social (Action pout le changement).

Vers la fin des années 80, Yanick Lahens se lance dans l’écriture. Tout d’abord ce sont des essais sur la littérature, comme celui qu’elle consacre à Marie Chauvet. C’est en 1990 qu’elle est remarquée lors de la publication de   L’exil, entre l’ancrage et la fuite, l’écrivain haïtien.

1994 : Tante Résia et les dieux,  recueil de nouvelles qui révèle déjà la maîtrise de l’art délicat et subtil de la fiction brève. Dans la nouvelle centrale le narrateur de 19 ans ne veut plus vivre selon les préceptes de sa mère Gracieuse tournée vers la rédemption de la culpabilité alors que sa tante  Résia s’est toujours arrangée pour mettre tous les atouts de son côté.

1994 : La petite corruption,  recueil de nouvelles qui aborde nettement les thèmes de l’oppression sociale comme la prostitution et le banditisme. Ces nouvelles montrent une fois de plus la grande maîtrise du genre par Yanick Lahens. Chaque histoire fonctionne comme une miniature dans laquelle l’économie des moyens mis en œuvre rend les détails particulièrement denses dans leur capacité d’expression.

2000 : son premier roman  Dans la maison du père  qui ouvre le cycle est un bildungsroman dans les tourments de la révolution haïtienne de 1945. L’héroïne Alice grandit dans les années 40 dans une famille bourgeoise. Au carrefour de son éducation « bien comme il faut » et de son apprentissage de la culture populaire grâce à sa bonne et à son oncle, avec  les danses vaudou et les tambours, elle suit les péripéties révolutionnaires de 45-46 et développe son caractère insoumis.

2008 : La couleur de l’aube  Prix Millepages et prix RFO      

L’histoire déroule les étapes d’une journée haïtienne depuis le devant-jour à Port-au-Prince jusqu’à la nuit. Yanick Lahens fait alterner les voix de deux sœurs : Angélique, plongée dans les rituels pentecôtistes et Joyeuse, qui aspire à la jubilation des sens. Les deux filles, épaulées par leur mère, pivot du foyer, attendent avec inquiétude le retour du fils, Fignolé, chanteur et jeune militant déçu du parti des Démunis. Il a passé la nuit dehors alors que le bruit des armes résonne dans les rues. Angélique et Joyeuse vont arpenter les rues de Port-au-Prince, une ville écrasée par la violence et la misère, pour tenter de le retrouver.

C’est un roman poignant parce qu’à chaque page sourd la révolte et éclate la volonté de vivre. Dans une langue riche et poétique Yanick Lahens décrit avec une émotion palpable la force de ces êtres ordinaires ballotés par les injustices mais qui restent debout et fiers.

2010 : failles    

En 2010 Yanick Lahens, qui s’est impliquée personnellement dans les secours aux victimes du séisme, publie le récit de  ce qu’elle vit : failles. Plus qu’un témoignage, c’est une réflexion de fonds déclenchée par la catastrophe et les conséquences humaines de celle-ci. Avec tact et pudeur Yanick Lahens évoque les faits, l’hébétude d’être là, les secours, l’effarement devant l’étendue du désastre, la traversée de Port-au-Prince, les dégâts, les hurlements de celles et ceux qui souffrent.

 C’est un livre où se mêlent récit intime, ébauche de roman, témoignages et réflexions. Loin de  toute  exotisation ou de tout  misérabilisme, il s’agit de comprendre les maux et les impasses d’une société  exsangue. Derrière la citoyenne qui appelle à la refondation sociale et culturelle, l’écrivaine n’est jamais loin. « Comment écrire pour que le malheur ne menace pas les lieux mêmes d’existence des mots ? » La réponse est dans ce somptueux récit d’amour et de résistance digne et émouvant.

La promotion de terminale 2015-2016 avec Yanick Lahens au CAP ce 15 janvier 2016

« Cela faisait longtemps que je voulais écrire cette histoire d’un homme et d’une femme. L’une de celles qui ravivent le goût de l’impossible. L’une de celles qui trainent son cortège de surprises, de paradoxes, d’érotisme et de déraison. Dans cette ville comme dans d’autres villes, une certaine idée de l’amour a été façonnée  par les livres, les chansons et le cinéma. Mais où les données du malheur universel sont immédiates et vous rattrapent juste un peu plus vite qu’ailleurs. »    failles 2010

  2013 : Guillaume et Nathalie   

Yanick Lahens a fini par écrire le roman d’amour qui lui tenait à cœur.       

Guillaume est sociologue, Nathalie architecte. Ils se rencontrent à la veille du séisme autour d’un projet à Léôgane. Entre l’homme de cinquante ans revenu de ses utopies et la jeune femme au sombre passé l’attirance est immédiate. Représentants de la classe moyenne, ils tentent d’endiguer la misère qui les encercle, subissent eux aussi les préjugés racistes de la « bonne » société et la corruption des élites. Le lecteur suit cette lente montée du désir dans le décor de Port-au-Prince superbement rendu par l’écriture de Yanick Lahens qui après Failles fait revivre cette ville impossible telle qu’on l’aime. L’énergie délirante de l’île épouse l’âme des personnages et imprègne tout du long ce roman chaleureux et vibrant.

C’est un roman pétri de tendresse pour son pays où l’auteure excelle dans l’écriture impatiente du désir et l’on est vite happé par la sensualité qui s’en dégage. Yanick Lahens acte la victoire de la vie et de l’écriture sur le malheur. Elle apporte la preuve que l’on peut métamorphoser la douleur par la créativité lumineuse. René Char appelait cela la santé du malheur.

Salle Professeur Jean Claude au CAP ce 15 janvier 2016

2014 : Bain de lune  Prix Femina

De  la Maison du père  à  Guillaume  et  Nathalie,  Yanick  Lahens sonde  la relation de l’intime avec l’historique, l’articulation de l’individuel et du collectif dans des romans résolument féministes.

Dans Bain de lune, publié en 2014, ce qui faisait déjà la qualité des livres précédents va se révéler ici dans toute sa splendeur : le réalisme des personnages, la puissance poétique des images, la finesse des descriptions, l’audace de la composition. L’auteure fait montre de son talent sans jamais céder à l’ostentation.

Bain de lune se distingue par son ampleur inédite. Les trois précédents romans couvraient des périodes courtes (une journée, une paire d’années) et mobilisaient un petit nombre de personnages.

Bain de lune retrace les trajectoires de deux familles entières sur trois générations au début du 20ème siècle. Nous sommes à Anse Bleue dans un petit village entre terre et mer. A travers la violence des querelles qui opposent les Lafleur et les Mésidor, Yanick Lahens explore les résonnances entre une tragédie familiale et l’histoire tourmentée de l’île. Elle évoque notamment les années de la dictature duvaliériste avec l’homme à chapeau et à lunettes noires et épaisses et le grand voile noir qui recouvre Port-au-Prince et bientôt tout le pays. Les conséquences du changement de régime se font sentir. Voilà qu’Olmène, à peine pubère, s’entiche d’un Mésidor, Tertulien le quinquagénaire et commet l’interdit, Fénelon devient Tonton Macoute et revêt l’uniforme bleu, Léosthène qui rêve de la République Dominicaine, finit par atterrir à Miami. A côté des amours et déchirures de la vie privée merveilleusement contés, Yanick Lahens fait entrer l’histoire politique de l’île dans la vie quotidienne des personnages, tout en montrant la force des croyances, le dialogue avec les éléments et la joyeuse chaleur humaine de ce monde paysan qui résiste au pire.

C’est une écriture chorale avec ce nous qui est la voix du village, des terres intérieures, un chant beau et puissant à la lisière du magique et de la légende, une écriture poétique et réaliste, empathique et distancée. C’est une fresque à la fois complexe et limpide, tant la langue de Yanick Lahens, ponctuée d’expressions créoles, semble couler de source pour mieux épouser, subtilement, la cause des femmes.

C’est enfin un magnifique hommage au monde paysan, à ces Invisibles qui sont les grands oubliés des structures de pouvoir et que la littérature, et souvent elle seule, nous appelle à entendre et à regarder.

Bain de lune avec Norma Bellevue, Shasna Petit et Alia Jean de la classe de terminale

Pour revivre ces moments : diaporama

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